Épidémie, 19/ Des viandes infectées sur les marchés ?

Le coronavirus a ressuscité l’image de la Peste noire, la plus célèbre et la plus terrible des épidémies médiévales. Pour mieux comprendre ce phénomène, derrière les parallèles un peu rapide, Actuel Moyen Âge vous propose une série de courts articles sur cette peste – quitte à être confinés, autant se cultiver un peu !

Retrouvez tous nos articles sur la Peste médiévale dans ce sommaire !

Épisode 19/ Des viandes infectées sur les marchés ?

Le pangolin est peut-être l’animal qui fait le plus parler de lui depuis le début de l’année, et pour cause : il est suspecté d’être à l’origine de la pandémie de Covid-19. C’est en effet par sa chair, que l’on pouvait acheter sur le marché de Wuhan fin 2019, que le virus fut (probablement) transmis aux humains. Que la viande soit potentiellement vectrice de maladies, on le savait déjà au Moyen Âge, et son commerce était particulièrement encadré et contrôlé.

Les médiévaux, ces grands consommateurs de viande

Au XIVe siècle, la viande est omniprésente dans l’alimentation et consommée en grande quantité. Ainsi, à la fin du siècle à Paris, plus grande ville d’Occident à l’époque, la population consommait chaque semaine environ 500 bœufs, 300 veaux, 600 porcs et 3 000 moutons. Soit une portion moyenne d’environ 150 grammes de viande par habitant et par jour, c’est-à-dire plus qu’aujourd’hui en France !

repas
Boccace, Decameron (BnF, ms 5070, f. 387).

Et les Parisiens du XIVe siècle n’étaient pas particulièrement carnivores : les données historiques et archéologiques révèlent une consommation de viande similaire partout en Occident. Même dans une petite ville comme Saint-Antonin-Noble-Val dans le sud de la France, on trouve, au début du XIVe siècle, une vingtaine de bouchers pour environ 8 000 habitants.

Au Moyen Âge, pas de pangolin sur les étals du marché !

Ces nombreux bouchers médiévaux, ou « mazeliers », font l’objet de suspicions : les moins scrupuleux d’entre eux proposent des viandes pas toujours fraîches, et parfois issues de bêtes malades ou impropres à la consommation. Pour des raisons sanitaires, leur activité est donc particulièrement encadrée et contrôlée par les pouvoirs publics. Ainsi, en 1323 à Saint-Antonin-Noble-Val, « pour le profit et l’utilité publique et pour éviter grand péril », les autorités municipales promulguent une loi sur la boucherie afin de définir et imposer les critères de qualité des viandes commercialisées dans la ville.

Décision des autorités municipales de Saint-Antonin-Noble-Val, 1323 (AD Tarn-et-Garonne, 3 E 155, HH 1-1).

Seules peuvent être vendues des viandes « bonnes, saines, fraîches et convenables » de bœuf, de mouton, de porc, d’agneau et de gibier. Sont également tolérées, dans une boucherie spécifique, quelques viandes de moins bonne qualité et moins chères, comme la chèvre, la truie ou le bélier, pourvu qu’elles soient saines et fraîches. Toute autre bête est interdite à la vente au sein de la ville, sous peine d’une amende de 10 sous tournois.

Une peur des maladies transmises par les animaux

Pour éviter les contaminations, on ne se contente pas d’interdire les animaux douteux sur les étals des boucheries : il est aussi strictement interdit de vendre des viandes issues de bêtes manifestement malades ou ayant été attaquées par des loups (potentiellement porteur de maladies) ; la peine encourue, bien plus lourde, s’élevant alors à 60 sous tournois. Deux grandes peurs alimentaires caractérisent en effet les sociétés médiévales : la pénurie de nourriture, et la transmission de maladies des animaux aux humains, comme la tuberculose, les grippes ou la fièvre charbonneuse des « champs maudits ».

Ibn Butlan, Tacuinum sanitatis
(
BnF, Latin 9333, f. 69)

Toutefois, si on trouve de telles législations partout en Occident au XIVe siècle, les sources judiciaires montrent aussi qu’elles n’étaient pas toujours respectées, et les maigres connaissances médicales des médiévaux limitaient de toute façon l’efficacité de ces mesures. Certaines maladies n’étaient pas ou mal décelées, tandis que d’autres ne présentaient pas de risque sanitaire : l’Occident connait par exemple, aux XIIIe et XIVe siècle, plusieurs épisodes de « peste bovine » qui déciment parfois des cheptels entiers, mais la maladie n’est pas transmissible aux humains, et la viande de bœuf aurait pu être consommée sans risque. Peu importe : en 1348, le grand danger sanitaire ne se trouvait pas sur des étals de marché !

La suite au prochain épisode !

NB : les membres d’Actuel Moyen Âge tiennent à affirmer leur soutien et leur admiration pour les personnels soignants, au premier plan d’une très sérieuse lutte contre le coronavirus après des années d’une politique d’austérité.

Pour en savoir plus

  • Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires. Du Moyen-Âge à l’aube du XXe siècle, Paris, Seuil, 2002.

13 réflexions sur “Épidémie, 19/ Des viandes infectées sur les marchés ?

  1. Bonjour,
    Modeste prof d’histoire en Savoie, je viens de découvrir votre site par le biais d’un entretien sur Storia Voce…
    Il est extra et à la pointe… Foin des idées reçues ! Vos articles m’aident à proposer des cours plus vivants et qui sortent des schémas classiques des manuels… Je voudrais savoir s’il est possible d’échanger par mail avec l’un d’entre vous sur des points précis ? Je vous remercie de votre bienveillante attention. J. Gaud-Bauhain

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    1. Bonjour !
      Merci beaucoup, tant mieux si notre travail vous plait, et on est encore plus heureux de savoir que vous pouvez vous en servir en cours !
      Vous pouvez m’écrire à cette adresse : florient.latin@gmail.com. Le cas échéant, en fonction de vos questions, je vous mettrai en contact avec les membres de l’équipe les plus à même de vous répondre 🙂 !

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