#Dieuleveut !

L’une des choses fascinantes avec les réseaux sociaux, c’est la rapidité de diffusion des informations qu’ils autorisent. Une prof agressée par un élève ? En quelques heures, le hashtag #PasdeVague réunit des dizaines de milliers de témoignages de profs. Les réseaux sociaux permettent de toucher un immense public d’une façon quasi immédiate : face à la perquisition de son domicile, Jean-Luc Mélenchon se « branche » sur facebook live, et la nouvelle fait aussitôt le tour du web. Les pouvoirs médiévaux auraient probablement souhaité disposer d’un moyen aussi efficace : on imagine déjà le pape Urbain II tweetant un #Dieuleveut pour appeler à une croisade… Mais, en l’absence de ces réseaux, comment s’y prenait-on au Moyen Âge pour toucher autant de gens d’un coup ?

Des pigeons voyageurs à l’oiseau de twitter

Pas de comparaison abusive : clairement, si on s’intéresse à la question de la rapidité de la diffusion des informations, il n’y a pas photo, le Moyen Âge est loin derrière. Un cheval ne fait guère qu’une centaine de kilomètres par jour au mieux. Un pigeon voyageur, s’il évite flèche et faucons, en fera dix fois plus. Un homme beaucoup moins. Entre tout ça, les nouvelles cheminent à leur rythme.

Pigeon (Paris, BnF, Arabe 2178 f.247v)

Prenons l’exemple de la prise de Jérusalem en 1187 : il s’agit d’une nouvelle cruciale, et pourtant elle met au moins 5 semaines à atteindre Rome, d’où elle est ensuite diffusée dans toute la chrétienté. Ce qui est très lent, on est bien d’accord… mais en même temps assez rapide finalement à une époque où il faut un mois pour faire l’aller-retour entre Paris et Lyon ! (oui oui, vous avez bien lu, un mois. Pensez-y la prochaine fois que vous râlez contre les 10 minutes de retard de la Sncf).

De l’importance des places

Paris, BnF, Français 5594 f.19

Cela dit, il reste compliqué de diffuser un message rapidement à un grand nombre de personne. Or, pour l’Eglise, c’est une priorité forte. Du coup celle-ci innove : alors qu’auparavant la prédication avait lieu durant la messe, donc dans une église, devant un nombre forcément limité de personnes, on commence à partir du XIIe siècle à prêcher à l’extérieur, devant toute la foule rassemblée.

Cela suppose des adaptations nombreuses, dont les ordres mendiants deviennent les spécialistes. D’abord, il faut prêcher en langue vulgaire, et pas en latin – même si on a des exemples, plus tardifs, de grands prédicateurs capables de toucher les foules en parlant en latin. Ensuite, il faut perfectionner ses talents oratoires, et notamment insérer des petites histoires dans son sermon : ce sont les exempla, et on aura même des recueils de milliers d’exempla dans lesquels les clercs vont pouvoir venir piocher.

Et puis il faut des innovations techniques. Pour que les gens puissent se rassembler devant l’église, il faut qu’il y ait de la place… et on va donc ouvrir de grandes places urbaines devant les cathédrales. Celles-ci, qui modifient profondément le tissu urbain et la physionomie de la ville, se multiplient au XIIIe siècle. Mais, en l’absence de micro, comment faites-vous pour vous faire entendre d’une foule de milliers de personnes sans hurler à vous casser la voix ? Très simple : vous disposez au milieu de la foule des crieurs qui répètent votre discours au fur et à mesure. Comme des relais radios, ou comme des milliers de tweets relayant un même message pour en assurer la diffusion rapide. Et, évidemment, vous travaillez votre gestuelle, afin de communiquer à la foule des émotions même quand on ne vous entend pas.

Qui diffuse l’information ?

Dès cette époque, il existe des professionnels de l’information : marchands, ambassadeurs, espion, etc. Ce sont d’ailleurs les marchands qui sont à l’origine des premiers journaux ! Mais à côté de ces canaux, on est mal renseignés sur les réseaux plus horizontaux qui jouent probablement un rôle-clé : artistes, pèlerins, étudiants, brigands véhiculent nouvelles, informations, rumeurs sur les routes du monde. En quelques mois, une nouvelle peut faire le tour de la chrétienté.

Prenons l’exemple de la prédication de la croisade. D’un côté, on a des canaux officiels : bulles du pape, légats pontificaux, archevêques organisant la prédication ou la levée des fonds, etc. On pourrait comparer ça au journal de 20h, quand le président vient expliquer ses prochaines mesures politiques. Et puis à côté on a une prédication diffuse, en réseau : en 1320, ce seraient ainsi plusieurs prêtres, plus ou moins subversifs, qui lancent sur les routes des milliers de Pastoureaux dans une croisade totalement non-officielle (et d’ailleurs condamnée par l’Eglise). Ca, ce serait plutôt l’équivalent d’un mouvement comme #metoo, lancé à l’horizontal, sans passer par des canaux de communication classiques. (bon, sauf que #metoo n’a pas invité à brûler des villes et à convertir de force des juifs, mais vous m’avez compris).

Le nombre très élevé de gens qui s’engagent dans cette « croisade des Pastoureaux » souligne que, dès le Moyen Âge, les foules savent s’organiser et se mobiliser autour de grandes causes, sans attendre forcément des incitations venues d’en haut. Ca a été le cas il y a peu avec l’appel pour la « marche pour le climat » du 8 septembre 2018, lancé par un anonyme sur Facebook et qui a rencontré un succès mondial. Et les autorités sont souvent dépassées par le succès de ces mouvements : en 1095, le pape est le premier surpris du nombre de croisés qui partent vers Jérusalem.

Pas besoin donc d’attendre les réseaux sociaux pour voir apparaître des causes « virales », enflammant la société. Les échelles temporelles et géographiques ne sont évidemment pas les mêmes : #metoo fait le tour du monde, de l’Amérique à l’Australie, en quelques jours, alors que l’organisation de la troisième croisade prend… 4 ans. Mais il s’agit là d’une différence de degré : même sans twitter, les sociétés médiévales savaient déjà faire circuler les informations et mobiliser les foules, à une très large échelle.

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Pour en savoir plus

  • Pierre-Vincent Claverie, « Les Templiers informateurs de l’Occident à travers leur correspondance », in Ferreira Fernandes et Isabel Cristina (dir.), As Ordens Militares. Freires, Guerreiros, Cavaleiros, Palmela, Municipio de Palmela, 2012, p. 717‑735
  • Jean Verdon, Information et désinformation au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2010.

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