La femme, le prêtre et le sextoy

Que ceux qui ont ouvert cet article pour entendre parler de sextoys médiévaux ne se fassent pas d’illusion : on va surtout parler des femmes et des prêtres. Pas par pudibonderie, mais surtout par manque de source : il n’existe pas d’étude approfondie des sextoys pour le Moyen Âge. Même l’archéologie expérimentale ne s’est pas encore lancée sur ce terrain. D’ailleurs, l’illustration, c’est juste une femme avec son rouet.

Parce que certaines rouées en auraient quand même eu…

Eve au rouet, Hunterian Psalter, vers 1170, Glascow University Library MS Hunter 229

Pourtant il y a bien quelques textes qui nous parlent de ces objets. On les voit apparaître sous la plume des prédicateurs ou des confesseurs qui, forcément, pressent les femmes de s’en débarrasser. Burchard de Worms, un évêque du XIe siècle, se lance ainsi dans un manuel destiné aux confesseurs, où il fait la liste des questions à poser aux fidèles. Et parmi ces questions, il met à part une série à poser exclusivement aux femmes.

« As-tu fait ce que certaines femmes ont coutume de faire, as-tu fabriqué une certaine machine de la taille qui te convient, l’as-tu lié à l’emplacement de ton sexe ou de celui d’une compagne et as-tu forniqué avec d’autres mauvaises femmes ou d’autres avec toi, avec cet instrument ou un autre ? »

Vous noterez que c’est assez maigre en information. Le terme latin est machinamentum : un terme qui désigne un outil, une machine, un stratagème.

Le prêtre et le sextoy… sans la femme ?

Burchard de Worms écrit dans un contexte de renforcement du pouvoir de l’Église sur la société, la famille, et donc, du même coup, la sexualité. On est à peine quelques décennies avant le début de la réforme grégorienne, qui va chercher à séparer les clercs, voués à la chasteté, des laïcs, voués au mariage. La bonne sexualité se définit donc selon les règles du bon mariage : elle est hétérosexuelle, ne peut unir deux consanguins (des personnes de la même famille), devrait être consensuelle (on a le droit de dire non), et elle a pour but la procréation. Le manuel de Burchard de Worms fait partie de l’outillage mental des clercs qui fixent ces normes : dans la liste des interdits apparait donc, en creux, l’idée qu’un ecclésiastique se fait de la sexualité licite.

D’ailleurs l’interdiction des sextoys est suivie d’une foule d’autres interdits : machine à forniquer, masturbation et homosexualité sont mises dans le même sac que la pédophilie, la zoophilie, la prostitution de soi ou d’une autre. Enfin, les potions aphrodisiaques, contraceptives, ou encore le simple fait d’enseigner comment avorter à une autre femme est tout à fait illicite.

Des livres dans nos lits

Alors, sextoys ou pas sextoys ? On le voit : le texte de Burchard de Worms ne nous apprend pas grand-chose sur les pratiques réelles des femmes. Il nous en dit bien plus, en revanche, sur l’évolution des normes sexuelles. Nous avons décidé (très récemment) que le consentement servait à tracer la ligne entre interdit et autorisé. Du coup l’homosexualité, la masturbation ou encore l’usage de sextoys passent dans la catégorie autorisée. Par contre la pédophilie est interdite, et on devient de plus en plus attentifs à faire disparaître la zone grise qui entoure encore souvent les relations non consenties. Les médiévaux, eux, traçaient leur ligne de démarcation entre interdit et autorisé avec la procréation. Pas toujours de façon très stricte, mais les sextoys sortent du champ du possible, surtout entre femmes.


Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, XIVe siècle, Paris, BnF ms. Fr. 25526, fol. 160r.

Impossible de savoir si les femmes avaient souvent des sextoys dans leur lit il y a mille ans. Par contre on voit bien que nous continuons à avoir toujours en tête beaucoup de normes et de représentations sur ce qui est bien ou mal, interdit ou autorisé, et qui se décale lentement de siècle en siècle. Qu’on les ait lus ou qu’on en ait entendu parler, tous ces livres qui expliquent ce qu’il faut ou ne faut pas faire finissent par se glisser dans nos vies et dans nos lits.

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Pour en savoir plus :

  • Duby, Dames du XIIe siècle, t. III, Eve et les prêtres, Gallimard, 1996, citation p. 26.
  • Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Hachette, 1981.

5 réflexions sur “La femme, le prêtre et le sextoy

  1. Bonjour Pauline,
    Merci pour cet article ! Pour continuer la discussion, on a bien quelques sources sur les sextoys médiévaux, je pense au procès de Katherina Hetzeldorfer de Nuremberg (1477) pour « sodomie » féminine. Ce n’est pas écrit clairement, mais il est fait mention d’une « chose énorme, aussi énorme que la moitié d’un bras », d’un « bout de bois qu’elle tient entre ses jambes », d’un « instrument avec un morceau de cuir rouge bourré de coton à l’avant, un bout de bois planté à l’intérieur avec une ficelle attachée autour le traversant » 🙂
    Bien à toi,
    Chloé Tardivel

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  2. Merci à vous pour ces éclaircissements sur le dit… et le non-dit ! On ne s’intéressait donc pas au contrôle de la sexualité des messieurs ?? Vu les combats actuels pour l’égalité, voilà un manque de parité qui ne va pas passer inaperçu.

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