Breaking news : le bréviaire de Charles V revient en France !

Depuis le début de l’année, la Bibliothèque nationale de France a lancé un grand projet : acheter un manuscrit exceptionnel, le Bréviaire à l’usage de la Saint-Chapelle qui a été réalisé vers 1370 pour le roi Charles V. Des centaines de feuillets, 280 mm de haut, 33 miniatures… le volume a de quoi impressionner. Actuel Moyen Âge a eu le privilège de le voir en avant-première : on vous y emmène ! Laissez vos affaires dans les vestiaires en bas du 58 rue de Richelieu, montez dans la salle du département des Manuscrits avec seulement votre ordinateur, un crayon à papier et quelques feuilles ; inutile de mettre des gants blancs, et c’est parti !

Attention, chef d’œuvre

Le bréviaire est un livre commun au Moyen Âge ; il permet au lecteur de suivre jour par jour les offices religieux. Mais celui de Charles V est exceptionnel : il a été produit au XIVsiècle par les meilleurs artisans parisiens et s’adapte aux attentes du roi. Copié sur un parchemin de qualité, il s’ouvre par un calendrier liturgique où sont précisés les obits (c’est-à-dire les offices pour l’âme d’un ou d’une morte) des rois et de plusieurs reines de France ; les grandes fêtes associées à la couronne sont aussi mises en évidence par des lettres rouges ou dorées. Aucun doute : nous sommes face à une commande royale.


Calendrier liturgique au début du manuscrit.

Plusieurs miniatures qui montrent Charles V en prière confirment la piste royale. Ces portraits ne sont pas là que pour faire beau et flatter l’ego du roi : quand il est aux pieds de saint Louis de Toulouse (le petit-fils de Louis IX) ou devant les reliques de la Sainte-Chapelle (édifiée par Louis IX), il affirme aussi clairement une volonté politique. Il veut à la fois s’inscrire dans la dynastie capétienne, et se présenter comme un roi pieux, sage, savant et diplomate, à l’image de Saint Louis, plutôt que comme un roi guerrier.


Charles V priant devant les reliques de la Sainte Chapelle.

D’autres images sont moins originales mais beaucoup plus étonnantes pour nous : le début du psaume 52 qui commence par les mots « Dixit insipiens » (« le fou déclare ») est illustré par le portrait d’un fou. Il a tous les attributs de l’idée (négative) qu’on s’en fait dans la société médiévale : il est nu ou presque (alors que les habits sont une marque d’humanité et de civilisation), sa tête est tondue, il tient une marotte (une sorte de marionnette avec un visage, d’où l’expression « avoir une marotte » = être obsédé par quelque chose). Pire : il tire la queue d’un chien !


Début du psaume 52 s’ouvrant par Dixit insipiens.

La bibliothèque de Charles V

Le Bréviaire était loin d’être le seul manuscrit de Charles V : il faut l’envisager au cœur d’une bibliothèque qui comptait 910 volumes à sa mort ! Sous son règne, la librairie (c’est le mot médiéval pour dire « bibliothèque », qui donne ensuite library en anglais) se détache de la personne du roi et devient une institution gérée par un libraire, avec des inventaires et un classement. En 1368, tous les volumes sont transférés au Louvre, dans la tour de la Fauconnerie. Ils sont rangés sur trois étages, dans trois salles circulaires de quatre mètres de diamètre ; les murs sont lambrissés de bois de la baltique (ça fait apparemment chic à l’époque) et les chandeliers sont en argent. Au premier étage on trouve l’Écriture sainte et les livres sur le bon gouvernement : les codes de lois, les traités, les livres de morale politique et d’histoire comme les Grandes Chroniques de France, des traductions d’Aristote et de saint Augustin. En montant un peu, au deuxième, on peut lire de la littérature arthurienne, des chansons de geste et des livres de piété en français. Le troisième étage est plus sérieux, avec des textes latins et les ouvrages scientifiques.


Charles V dans sa librairie. Jean de Salisbury, Policratique. Paris, BnF, 24280, f. 2r.

Sous Charles V comme sous Charles VI, la bibliothèque royale jouit d’une grande reconnaissance. Les livres confèrent au roi une aura intellectuelle et montrent toute sa richesse. Concrètement, même s’ils sont souvent rangés dans la bibliothèque, ils sont aussi montrés aux invités de marque, prêtés aux proches, parfois officiellement donnés avec pompe. Le fait que les volumes soient parcimonieusement diffusés amplifie encore leur renommée : inévitablement, tout ce que l’on voit rarement fascine. Après la mort de Charles VI pourtant, la bibliothèque royale ne fait pas long feu : elle est en grande partie rachetée à bas prix par le duc de Bedford, puis dispersée à sa mort en 1435. Marqués par le prestige royal, les livres sont vendus à travers toute l’Europe. Voilà donc comment le Bréviaire de Charles V a quitté le Louvre…

Un secret bien gardé

Si le Bréviaire de Charles V fascine autant les universitaires, c’est d’abord parce que son existence n’a été révélée au grand public que très récemment. La dernière trace qu’on en avait datait du XVIIIe siècle : le manuscrit était alors conservé au château d’Anet et avait été vendu en novembre 1724 à une grande famille britannique. Et depuis cette date… plus rien ! Le bréviaire a été légué dans la même famille de génération en génération jusqu’en 2015, puis racheté par un collectionneur étranger qui souhaite garder l’anonymat. Quelle surprise alors pour les conservateurs et conservatrices de la BnF quand il les a contacté.es pour savoir si la bibliothèque était intéressée par le manuscrit ! Bien évidemment, elle l’était.

Toutes les directions de la Bibliothèque se sont alors mobilisées : le manuscrit a été placé en dépôt sous bonne garde à la BnF, et le prix a été fixé à 1,6 million d’euros. Mais comment récolter cette somme quand le budget d’acquisition des collections est d’un million? Il faut trouver des sous ailleurs, notamment auprès d’entreprises, de grands donateurs, et du grand public (= nous !). On en vient donc aux affaires sérieuses : si vous souhaitez participer à l’achat du Bréviaire de Charles V, n’hésitez pas, c’est par ici jusqu’au 31 décembre 2023. Les donateurs, même particuliers, peuvent déduire une part de leur don des impôts. Une fois qu’il aura été acheté, le manuscrit sera numérisé sur Gallica afin que, pour la première fois de son histoire, le plus grand nombre y ait accès !

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