Musée de Cluny : Les arts en France sous Charles VII

1 – Enseignes de partis

L’ambition de cette exposition est de montrer que, même marqué par la guerre de Cent ans, et c’est peu de le dire, le règne de Charles VII (1422–1461) n’était pas une période de désolation se réduisant aux « malheurs de ce temps » déplorés par les poètes.

La première salle, consacrée à la reconquête politique et artistique du trône, fait quand même la place à quelques documents qui rappellent les traces laissées par la guerre (des enseignes à mettre sur son surcot, comme des pins’, pour témoigner de son sentiment politique [ill.1] et, en plus de quelques chartes royales, la petite lettre de Jeanne aux rémois avec une signature dont on ignore si elle est de sa main [ill. 2]).

2 – Lettre de Jeanne aux habitants de Reims pour les exhorter au courage

Toutefois, n’en déplaise à Charles d’Orléans, tout le monde n’a pas passé 25 ans en exil. Au contraire, c’est une impression d’abondance et de richesse artistique qui se dégage des deux autres salles de l’exposition. Un bel ensemble de techniques est représenté : de la tapisserie au vitrail, à la faveur des restaurations de la rosace d’Angers, en passant par la statuaire avec le gisant d’Anne de Bourgogne, dans un exceptionnel état de conservation (mise à l’abri par Lenoir aux Petits-Augustins pendant la Révolution) [ill. 3], et bien sûr la peinture et l’enluminure : un bon tiers des pièces exposés sont des manuscrits pour mon plus grand bonheur, prêtés par les collections nationales. Beaucoup sont des missels ou des livres d’heures, puisque leur composition (« à l’usage » de Rouen, de Troyes, etc.) indique leur provenance et peut en faire des représentants d’une production artistique qui s’est notablement régionalisée. La deuxième salle de l’exposition est consacrée à la diversification des espaces artistiques en France septentrionale, née de l’éclatement politique (l’occupation anglaise à Paris vs. le roi de Bourges) et contrastant avec la centralité parisienne de la période précédente.

3 – Le gisant d’Anne de Bourgogne, duchesse de Bedford
4 – Médaille de René d’Anjou et Jeanne de Laval par Francesco Laurana, artiste
napolitain (Provence, 1463)


La troisième salle montre la continuité des techniques (tapisserie, médaillons en grisailles représentatifs du vitrail civil, camées…) en même temps que les germes d’un art nouveau à partir d’autres foyers de production, en faisant une belle place à la Provence qui concentre les influences italienne et flamande. Son comte, le roi René [ill. 4] est un immense mécène voyageur qui s’intéresse à tous les arts (il rapporte par exemple la glyptique d’Italie) : la production d’Enguerrand Quarton et son école, représentée dans l’exposition par la Pietà anonyme de Tarascon est liée à sa cour ; un exemplaire du Livre des Tournois dont il est l’auteur, magnifiquement enluminé par Barthélemy d’Eyck, montre autant son goût des livres que sa passion pour un cérémonial chevaleresque suranné [ill. 5]…

5 – René d’Anjou, Livre des Tournois, enluminé par Barthélemy d’Eyck (aquarelle
et lavis)

Il faut dire que c’est un alliage bien attesté chez ses contemporains : je pense au précepteur de son fils, Antoine de La Sale, auteur de Jehan de Saintré et d’un moins connu Traité des anciens et nouveaux tournois, mais surtout au beau livre de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie, sur la fréquentation des livres à la fin du Moyen Âge. Les artistes et les livres voyagent autant que les princes, comme ce manuscrit humaniste d’une traduction de la Géographie de Strabon, illustré en pleine page par Bellini, certes polyvalent, mais pour qui la différence entre peinture et enluminure n’a quasiment pas lieu d’être ! Jean Fouquet, dont le Louvre a prêté le médaillon connu comme le premier autoportrait occidental, a lui-même voyagé à Rome entre 1443 et 1446 ; et l’exposition a encore fait voyager quelques exemplaires de sa production enluminée, comme les livres d’heures conservés à New York : une autre bonne raison de se laisser tenter par la visite…

Emma Molinier et Max Parada

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