Les tarifs de l’énergie au Moyen Âge

L’augmentation des prix du gaz a mis l’accent sur la difficulté de 12 millions de Français à se chauffer décemment, soit environ un cinquième de la population nationale…

Au Moyen Âge, pas de gaz, ni d’électricité, bien sûr : c’est le bois qui constitue la ressource indispensable pour avoir le chauffage à la maison, faire cuire ses aliments, ou encore effectuer des travaux d’artisanat, si bien qu’il s’agit d’un véritable enjeu économique.

Ça va chauffer !

Le bois est le pétrole du Moyen Âge : un combustible et un matériau nécessaire à la vie quotidienne de tous les individus. Il permet évidemment de chauffer son domicile, avec parfois des systèmes de cheminées ou des poêles qui peuvent prendre des formes très évoluées. La cheminée placée contre un mur n’est d’ailleurs pas le seul modèle existant. En Flandre, pour limiter les risques d’incendies dans des maisons essentiellement construites en bois, on place le foyer au centre de la pièce principale de la maison : on appelle cela des cheminées « chauffant au large ». Plus encore, à l’est du royaume de France, notamment dans le Jura, on trouve des maisons qui se chauffent avec ce qu’on appelle un « tué », une grande hotte centrale de forme pyramidale et de 3,50 à 4,40 mètres de côté qui diffusait la chaleur dans les différentes pièces de la maison. En fonction de son aisance sociale il était ainsi possible de mettre en place des modes de chauffage parfois très élaborés.

Homme coupant du bois, Add MS 24098 f. 18v

Ceci étant, dès le Moyen Âge, on pouvait aussi recourir au charbon de terre (aussi appelé « houille ») pour alimenter un feu. Seulement une telle solution présentait un immense désagrément : l’odeur ! Au début du XVIe siècle, en Normandie, le curé de Saint-Maclou est ainsi en conflit avec un serrurier qui utilise de la houille pour faire fonctionner son atelier, à cause de la « puanteur » des fumées qui se diffusent vers le presbytère. De fait, le charbon de terre semble plutôt utilisé lorsqu’il n’y a plus suffisamment de bois pour chauffer tout le monde. Toujours en Normandie, on assiste par exemple à deux pénuries : une première au XIVe siècle, notamment du fait de la construction intensive de palissades et de châteaux temporaires pour la guerre ; une deuxième au XVIe siècle, en lien avec un accroissement de la population, mais aussi à cause de détournements des cargaisons de bois par les marchands et de la mauvaise volonté de plusieurs seigneurs de laisser circuler les livraisons de bois à travers leur territoire.  À cet égard, il faut rappeler que le bois est surtout transporté par voie fluviale : on vous laisse en effet imaginer combien il serait difficile de convoyer des tonnes de bois sur des charrettes empruntant des routes mal entretenues !

La guerre du bois

À partir du moment où le bois est une ressource centrale dans la vie de tous les jours, on comprend que les forêts deviennent des lieux stratégiques. C’est là que se rendent les populations pour ramasser de quoi alimenter leurs feux. Le terme même de « chauffagium », en latin, désigne initialement le droit de prélever du bois mort pour le feu. On retrouve ainsi ce mot dans de nombreux documents du Moyen Âge central qui évoquent la manière dont les gens utilisent les ressources de leur territoire.

Seulement, la forêt fait aussi l’objet d’autres usages. Pour les aristocrates, c’est également un lieu de chasse, activité noble par excellence permettant de faire étalage de sa force et de son prestige. Des communautés villageoises ou urbaines peuvent alors entrer en conflit avec le seigneur du coin sur les utilisations de la forêt. C’est le cas en Vendée, à Talmont Saint-Hilaire (dont le couvert forestier a presque complètement disparu aujourd’hui) où les seigneurs ont cherché à se réserver l’usage des zones boisées pour leurs chasses. Ces espaces privatisés par les puissants prennent le nom latin de « defensi » : autrement dit des lieux défendus, fermés. Ainsi, au milieu du XVe siècle, le règlement forestier indique-t-il que les hommes et femmes qui paient le droit de prélever du bois peuvent se rendre en forêt pour ramasser « tout bois sec et mort pour chauffage », « sauf dans les défens ». Chasser ou se chauffer, la forêt devient un lieu de conflit d’usages.

Défrichements médiévaux. Source : Wikicommons.

Par ailleurs, à la fin du Moyen Âge, la superficie totale des forêts a reculé, notamment du fait d’un modèle agricole différent des siècles précédents qui privilégie la production céréalière sur de larges zones. Dès lors, le manque de bois devient une question cruciale – et parfois même un thème véritablement obsédant dans les textes de l’époque, marqués par la peur de manquer de ressources. Dans tous les cas, il devient indispensable de fixer des règles afin de départager les formes d’exploitation des forêts. Dans la documentation toulousaine, on observe ainsi à la fin du XVe siècle une multiplication des règlements forestiers qui se font souvent l’écho des rapports de force entre les différents usagers.

Quand la puissance publique contre-attaque

Plus encore, une exploitation trop poussée de la forêt peut entraîner des situations de pénurie et donc de bouleversement du marché. Par exemple, si dans le Toulousain des années 1450 les producteurs et vendeurs de bois encouragent les achats de gros par des tarifs très avantageux (notamment à des marchands qui peuvent ensuite revendre la ressource selon leurs intérêts économiques), en revanche, à la fin du siècle, on freine complètement ce type d’offre, sans doute en raison d’une diminution des quantités disponibles.

Logiquement, on peut alors s’attendre à une flambée des prix, potentiellement dramatique pour la population, tant le bois est une ressource élémentaire. Néanmoins, les municipalités, soucieuses du bon approvisionnement de leur ville, prennent le plus souvent des mesures pour éviter, voire prévenir des hausses des prix trop fortes. À la fin du Moyen Âge à Rouen, cela peut passer par des réglementations des prix en fonction des moyens des habitants. Cependant, on peut aussi observer une véritable batterie de mécanismes visant à mieux contrôler le marché. À partir de 1500 dans la région de Toulouse, les autorités municipales centralisent ainsi le commerce du bois dans deux ports et font en sorte de contrôler de plus près le commerce du bois, en écartant s’il le faut les courtiers des transactions (ces derniers peuvent en effet gérer ce commerce à la place des autorités, en se réservant de juteuses marges de bénéfices). En 1511, le parlement de Toulouse menace même d’une amende de 100 marcs d’or les marchands qui voudraient commercer le bois hors des lieux prévus à cet effet. Par de telles actions, les autorités cherchent à éviter les monopoles et les bénéfices non déclarés. En 1517 l’intervention publique va même jusqu’à la réquisition exceptionnelle des excédents de bois afin de rétablir le bon approvisionnement à Toulouse. Enfin, à partir de 1518, les autorités urbaines décident de ne plus passer par des acteurs privés : les capitouls, membres du conseil municipal sont désormais habilités à lever une contribution extraordinaire sur les contribuables, à partir d’un certain niveau d’impôt, pour disposer du capital nécessaire afin d’acheter le bois pour la ville.

Hier le bois ; aujourd’hui, le gaz, et surtout le pétrole : ces ressources structurent l’économie des sociétés qui en ont besoin pour vivre. Elles sont également sujettes à des rapports de force dans leur utilisation, et à des risques de formes de privatisation, alors qu’il s’agit de biens élémentaires. Au XIVe siècle, dans la région de Toulouse, le seigneur de l’Isle-Jourdain veut ainsi se réserver la forêt de Bouconne, alors que depuis plusieurs décennies les habitants revendiquent le droit d’y faire paître leurs bêtes et d’y prendre du bois. Le seigneur parvient à mettre la forêt sous garde royale pour en interdire l’accès, tandis que les Toulousains finissent par renoncer à leurs usages contre une compensation qu’ils réclameront toujours en vain…

À ces questions de partage de la ressource s’ajoutent également aujourd’hui des enjeux écologiques décisifs (qui n’étaient certes pas absents au Moyen Âge), ne pouvant être surmontés que par une gestion vraiment commune et démocratique.

Pour en savoir plus

Merci à Anne Kucab, qui soutient prochainement une thèse sur les niveaux de vie à Rouen au XVe siècle !

Camille Fabre, Commerce et marchandisation du bois à Toulouse à la fin du Moyen Âge, Paris, Classiques Garnier, 2021.
Le bois et la ville, du Moyen Âge au XXe siècle, Actes du colloque « le bois et la ville » organisé par le Groupe d’histoire de forêts française et le Centre d’histoire urbaine, Paris, Édition ENS, 1991.
Charles Viaut, « Délimiter, exploiter et chasser : la forêt de Talmont et ses usages (XIIe-XVe siècle) », Questes, n° 43, 2021, p. 37-55.
Philippe Lardin, « L’utilisation du charbon de terre à Rouen à la fin du Moyen Âge », dans Benoît Paul (dir.), Le charbon de terre en Europe occidentale avant l’usage du coke, Turnhout, De diversis artibus, 2000, p. 41-48.
Jean Maire, Jean-Jacques Schwien, « La cheminée et le poêle, ou l’art de se chauffer en Alsace au Moyen Âge », Actes des congrès de la Société d’Archéologie Médiévale, numéro thématique « L’innovation technique au Moyen Âge », n° 6, 1998, p. 258-269.


5 réflexions sur “Les tarifs de l’énergie au Moyen Âge

  1. Très intéressant (comme d’habitude)!

    Juste une remarque sur l’origine du mot « chauffage », calefagium chez Du Cange qui a bien désigné la collecte de bois (la lignatio) … mais qui dérive du latin cicéronien calefacio chauffer.

    Du Cange calefagium, Jus annuæ lignationis, quod quis habet in silva, ad familiæ suæ usum, Gallis, Chauffage.

    Gaffiot călĕfăcĭō, ēcī, actum, acĕre (calens, facio), tr., échauffer, chauffer, faire chauffer : CIC. Nat. 2, 151

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