Saints papes

La semaine dernière, le Vatican a canonisé le pape Paul VI : il devient ainsi le quatrième pape du XXe siècle à devenir saint, sur huit papes ayant gouverné l’Église pendant le siècle. Le Moyen Âge est par excellence l’époque des papes et des saints : mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, peu de papes ont été canonisés durant cette période. Comment comprendre ce décalage ?

Le Très Saint Père

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Sur les 92 papes ayant régné entre le début du XIe et la fin du XVIe, seulement 11 papes ont été béatifiés ou canonisés (souvent bien après leur mort, parfois même des siècles après), ce qui est très peu : à peine 12 %. C’est encore moins si on compare la situation aux premiers siècles du christianisme : les 35 premiers papes sont tous considérés comme saints et dûment fêtés par l’Eglise catholique ! Sur les six premiers siècles du christianisme, ce sont près de 90 % des papes qui le sont. Alors certes cela renvoie à des procédures de sanctification beaucoup plus souples à l’époque : un saint le devient par la « vox populi », c’est à dire par la rumeur, la réputation. Au fil du temps, ça va devenir de plus en plus lourd et compliqué, avec l’invention des procès de canonisation : il faudra des témoins, des miracles, des hagiographies, pour prouver la sainteté. Ceci étant dit, reste qu’il y a un moment où on a arrêté de considérer que les papes étaient saints, ou avaient forcément vocation à le devenir.

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Or c’est à cette époque que la papauté impose son pouvoir : « le pape est installé dans la sainteté » dit ainsi Grégoire VII, le pape qui lance la réforme grégorienne (1073).

L’une des manifestations de la réforme grégorienne va d’ailleurs être de réserver les surnoms « Saint Père » ou encore « Sainteté » au pape, alors que durant le XIe siècle on sait qu’ils étaient employés pour parler au roi des Francs. On aurait pu penser par conséquent que la papauté grégorienne allait canoniser les anciens papes à tour de bras, pour mieux s’imposer aux royautés laïques en utilisant ce capital de prestige. Or pas du tout, c’est même l’inverse !

N’est pas saint qui veut

Pour comprendre cette situation, regardons de plus près les papes qui ont été canonisés durant ces siècles-là. Par exemple, Célestin V, pape pendant quelques mois en 1294, qui accède au trône de saint Pierre à l’âge de 85 ans, après une longue vie d’ermite. Réputé pour être un saint homme, il ne résiste pas à l’épreuve du pouvoir et démissionne peu après – ce qui nous rappelle un autre pape contemporain… Et il est canonisé en 1313, à la demande du roi de France. On a donc canonisé quelqu’un qui a renoncé à être pape.

En fait, on s’aperçoit qu’au Moyen Âge central, peu de membres de la hiérarchie ecclésiastique sont canonisés. Alors qu’au Haut Moyen Âge les saints sont souvent des évêques (saint Eloi, saint Didier, saint Boniface), plus tard, les évêques, archevêques et cardinaux sont assez rarement canonisés. Les saints sont des ermites, des moines, et, à partir du début du XIIIe siècle, des laïcs, et notamment des femmes, ayant mené une vie d’ascèse et de chasteté.

C’est que, en fait, la sainteté telle qu’on la définit au Moyen Âge semble opposée à l’exercice du pouvoir : les saints médiévaux sont ceux qui ont su abandonner leurs biens et leurs demeures, leurs richesses et leurs couples. Nul ne l’illustre mieux que François d’Assise, se déshabillant en place publique, embrassant les lépreux, prêchant aux oiseaux.

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C’est bon, je crois qu’on a compris : pauvreté, dénuement… Maintenant, rhabille toi.

Renoncer à tout

Les saints se méfient des possessions, qui ancrent dans le monde d’ici-bas, au détriment de la voie de Dieu. Or les papes, les cardinaux, les grands abbés et les évêques sont des membres de l’élite sociale, politique, intellectuelle. Souvent originaires de lignages aristocratiques, ils sont riches, possèdent des biens très importants, gèrent d’immenses patrimoines. Surtout, ils possèdent le pouvoir.

Au Moyen Âge, le pouvoir s’oppose à la sainteté : non pas parce que les puissants sont contre les saints, mais parce que les saints se méfient du pouvoir, qui corrompt et éloigne de la simplicité. François d’Assise ne s’y trompe pas : il a toujours refusé de devenir le chef du mouvement qu’il avait initié.

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Si les puissants font rarement des saints, c’est que les saints font de mauvais puissants : on le voyait déjà avec Célestin V, on peut aussi penser à Pierre de Luxembourg. Né en 1369, issu de la puissante famille des Luxembourg, évêque de Metz à l’âge de 15 ans, il a tout pour être l’un des grands seigneurs de l’Église, mais choisit de suivre une voie d’ascète, renonçant au pouvoir. Il meurt à l’âge de 18 ans, de sous-alimentation : il est aussitôt considéré comme un saint, même s’il ne sera finalement que béatifié. Dans son parcours, et probablement dans son esprit, le pouvoir politique et la sainteté s’opposent.

Diriger ou être saint, il faut choisir

Du coup, on comprend mieux le décalage. Le début du XIe siècle est précisément le moment où les papes se posent de plus en plus comme les souverains absolus de l’Église. Ils imposent leur autorité et construisent ce que les historiens ont appelé une « monarchie pontificale » – qui va d’ailleurs ensuite servir de modèle aux monarchies laïques. Entre le XIe et le XVe siècle, le pouvoir pontifical est à son apogée. Ce qui explique pourquoi c’est aussi l’époque où on arrête de considérer systématiquement les pontifes comme des saints ou des saints potentiels : la puissance et la sainteté s’opposent.

Pour le dire autrement : quand les papes sont devenus véritablement puissants, ils se sont dégagés d’un modèle de sainteté pontificale. À la fois parce que pouvoir et sainteté s’opposent dans la pensée catholique, et parce que la papauté, quand elle domine, a moins besoin d’affirmer son autorité en canonisant des papes.

Paul VI est devenu le quatrième pape du XXe siècle à être canonisé, sur huit papes, soit 50 % : si on en croit notre petit théorème liant puissance politique et sainteté des papes, cette récente canonisation traduit en réalité un affaiblissement de l’Église catholique. Et on ne peut s’empêcher de penser que le moyen d’y remédier n’est pas de canoniser les papes passés, mais de régler les problèmes présents – et Dieu sait s’ils sont nombreux… !

Pour en savoir plus :

  • André Vauchez, La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge. Recherches sur les mentalités religieuses médiévales, Rome, École Française de Rome, 2014 (1978).
  • Agostino Paravicini Bagliani, La Cour des papes, Paris, Hachette, 1995.
  • Marie-Madeleine Cevins et Jean-Michel Matz (dir.), Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident médiéval, 1179-1449, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

3 réflexions sur “Saints papes

  1. Bonjour,
    Il ne s’agit pas d’un commentaire mais comme je ne discerne aucun autre moyen d’entrer en contact avec vous j’utilise cette voie. Je vous ai adressé le 4 octobre en répondant à la réception de votre lettre hebdomadaire une demande de renseignement qui n’a pas eu de réponse de votre part. Pourriez-vous par courtoisie au moins me répondre comme je vous le suggérais? Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et je vous prie de croire à mes sentiments les plus cordiaux.
    François Cavaignac

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