Les Vikings en chasse-neige

Quand les Vikings sortent les skis, Martin Fourcade n’a qu’à bien se tenir ! Un article bonus en ce lundi de rentrée pour certains, tandis que les JO paralympiques se poursuivent…

Plus que quelques semaines pour profiter de la poudreuse… et oublier que cette année encore, les Norvégiens auront dominé les Jeux Olympiques d’hiver ! Il faut dire que la pratique du ski est attestée en Scandinavie dès 5 000 avant J.-C. Et il y en aurait des traces bien plus anciennes encore dans l’Altaï, aux confins de la Chine et de la Russie. Inutile de vous dire qu’à l’époque, il fallait faire sans remontées mécaniques…

Bobsleigh et biathlon

Au Moyen Âge, personne ne songe à dévaler des flancs de montagne pour le plaisir. Sans doute pouvait-on skier pour le loisir, mais pour les peuples du Nord, c’est alors avant tout un moyen de se déplacer rapidement sur la neige et la glace. Ainsi chaussé, on glisse dessus sans s’y enfoncer – sans quoi la chasse aurait été quasi-impossible, en cette saison où les fourrures animales s’épaississent et se teintent d’un blanc très recherché. Il n’est donc pas étonnant que dans la mythologie norroise, Ullr, le dieu de la chasse et de l’hiver, soit considéré comme « un si bon archer et skieur que nul ne peut lui tenir tête » : Martin Fourcade n’a qu’à bien se tenir ! Plus sérieusement, c’est à de telles mentions qu’on mesure l’ancienneté de l’association des deux disciplines du biathlon.

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Ullr, dieu de la chasse, sur une pierre runique du XIe siècle

Cependant, les skis ne se fixent pas qu’aux pieds : sous un traîneau, ils permettent de transporter aisément de lourdes charges. Loin de freiner les communications, le froid transforme ainsi en boulevards des zones lacustres ou marécageuses où l’on s’enliserait l’été, et comme il y en a tant en Suède, en Finlande ou dans les pays Baltes. Ce n’est donc pas pour rien qu’au XIVe siècle, les marchands allemands hivernant à Novgorod, en Russie, doivent repartir « [par la mer] sur les premières eaux ou [par la terre] sur le dernier chemin [enneigé] ». Permettant de transporter facilement des armes et des vivres, les traîneaux s’avèrent aussi des outils logistiques indispensables pour toute expédition militaire hivernale : en 1542, le roi de Suède Gustav Vasa ordonne ainsi que chaque troupe dispose de traîneaux contenant victuailles, fourrage ainsi que les outils nécessaires pour construire un bivouac. Ces considérations très terre à terre n’ont cependant guère intéressé les chroniqueurs médiévaux, ni les  auteurs de blockbusters scandinaves qui leur préfèrent la guerre à ski, plus vendeuse mais plus anecdotique.

Des « Finnois skieurs » aux chasseurs alpins

Suédois et Norvégiens le reconnaîtront cependant volontiers : au Moyen Âge, les champions incontestés de la discipline sont les Finnois et surtout les Sames. Ceux que nous appelons souvent improprement Lapons sont alors connus par les lettrés de toute l’Europe sous le nom de Skridfinnar – « Finnois skieurs ». C’est en effet ainsi que les nomme, dès le vie siècle, le chroniqueur byzantin Procope de Césarée. Le terme se retrouve ensuite sous les plumes du Lombard Paul Diacre ou de l’Allemand Adam de Brême. Le chroniqueur danois Saxo Grammaticus s’émerveille lui aussi : « les Finnois, qui se sont toujours déplacés sur des planches glissantes, filent aussi vite qu’ils le veulent et sont réputés capables d’apparaître et de disparaître en un éclair. Sitôt après avoir touché leur ennemi, ils s’envolent aussi vite qu’ils ont surgi, mais sans que leur retraite ne soit plus prompte que leur approche ».

Au XVIe siècle encore, la Carte marine du cosmographe suédois Olaus Magnus représente, tout au nord de la Scandinavie, des armées de skieurs et d’archers montés sur des rennes, menées au combat par le roi des Skridfinnar. L’auteur, qui prétend s’être renseigné auprès des intéressés, nous livre même les secrets de leur agilité. Le plus important est bien sûr que l’avant des planches soit courbé vers le haut. Il convient aussi que le premier ski mesure un pied de plus que le second, lequel devra être aussi long que celui qui les porte : un skieur ou une skieuse – car les femmes participent à la chasse et Olaus Magnus le signale expressément ! – d’une taille de huit pieds aura donc un ski de huit pieds et un autre de neuf. Pour plus de vitesse et un meilleur équilibre, on pensera à en couvrir le dessous de fourrure de renne : car les poils très drus de ces peaux « se dressent comme des pointes ou des piquants de hérisson et cette caractéristique empêche le skieur de glisser vers l’arrière ». C’est aussi une façon d’amortir les crevasses et autres aspérités que cache la neige. Enfin, pour vous diriger, n’oubliez pas votre bâton – un seul suffira. À bon entendeur !

Finnois

La Carte Marine d’Olaus Magnus, détail : les skieurs Finnois

Avant de vous lancer, notez que les illustrateurs italiens auxquels Olaus Magnus avait fait appel n’avaient visiblement aucune idée de ce dont il était question : sur la Carte marine, les skis ressemblent à des sabots excessivement allongés avec lesquels les Sames marchent plus qu’ils ne glissent. À l’heure où les regards se tournaient vers le Nouveau Monde, les confins de l’Ancien n’avaient pas encore livré tous leurs secrets.

Pour aller plus loin :

  • Olaus Magnus, Histoire et description des peuples du Nord, Jean-Marie Maillefer (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 2004.
  • Saxo Grammaticus, La Geste des Danois. Gesta Danorum. Livres I-IX, Jean-Pierre Troadec (trad.), Paris, Gallimard, 1995.
  • John B. Allen, The Culture and Sport of Skiing. From Antiquity to World War II, Amherst, University of Massachussets Press, 2007.
  • Robert Delort, Le Commerce des fourrures en Europe à la fin du Moyen Âge (vers 1300-vers 1450), Rome, Ecole Française de Rome, 1978.
  • Martin Skoog, « Det andra slaget vid Hällaskogen 1464: Om krigföring och taktik i det senmedeltida Sverige », in Collegium medievale, vol. 28, 2015, p. 105-144 (avec un résumé en anglais).

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