« Spooky time » antique : l’avènement de l’automne et son cortège religieux dans le monde celtique et romain

Pendant une semaine, Actuel Moyen Âge voyage dans le temps et vous offre une… Actuelle Antiquité ! Aujourd’hui, l’automne à Rome…

Les changements de saisons et leurs dates marquantes font partie des étapes cruciales dans la plupart des calendriers – actuels et anciens – dont la fonction est d’organiser le temps politique, social et religieux d’une société. Ils rythment ainsi l’activité quotidienne des sociétés anciennes qui dépendent à plein titre des aléas climatiques quant à l’organisation de leur quotidien. En effet, dans nos sociétés contemporaines, la part de population active dans l’agriculture est relativement faible et nous vivons dans des habitations et dans des villes plus ou moins bien isolées mais dans lesquelles on craint finalement assez peu la météo. C’est bien loin d’être le cas pour les sociétés pré-industrielles : fortement rurales, l’alimentation y est une ressource qui en cas de dérèglement peut être à l’origine d’une profonde crise démographique. Ainsi la vie prend des aspects saisonniers importants, en ce que le rythme de la terre conditionne fortement le rythme des populations.

Faire la fête tous les trois mois

L’avènement des saisons coïncide donc souvent avec un nombre important de fêtes religieuses, de rites de passage et de consécration des activités. Ainsi, on célébrera le printemps comme le moment de renouveau des plantes et du beau temps, l’ouverture de la saison de la guerre, activité relativement impossible pendant les mois les plus froids ; on fêtera les lumières au moment de l’hiver, on fêtera le début des moissons à l’ouverture de l’été.

Dans l’Antiquité, le temps des hommes est intimement lié au temps sacré : les saisons sont le fait des dieux qui président à la croissance des plantes, à la fertilité, à la lumière, à la récolte, et les changements du monde doivent être des moments de renouvellement de la paix entre communautés humaines et puissances supérieures (les dieux) : c’est l’occasion de rituels importants, de fêtes de purification, de sacrifices, au cours desquels on entend s’attirer la faveur des dieux pour maintenir l’équilibre du groupe humain et sa pérennité.

Dans la culture populaire contemporaine, le mois d’octobre prend aujourd’hui la forme d’un « avent automnal » : le retour du froid annoncé, la chute des feuilles, les jours qui raccourcissent brutalement, la pluie qui s’installe. Nous quittons la douceur de l’été pour nous préparer à la lenteur de l’hiver. On fête les vendanges, on profite des dernières chaleurs, on se prépare ainsi à une forme de sommeil froid du paysage et de la nature, à un temps de réclusion partielle loin des champs. Autant d’éléments qui annoncent notamment deux fêtes toujours en vigueur et marquées dans notre propre calendrier, l’une religieuse, l’autre plus populaire, la Toussaint des chrétiens et la fête d’Halloween.

La fête d’Halloween est à l’origine elle-même religieuse, puisqu’elle correspondait vraisemblablement une forme de « nouvel an » chez les Celtes : elle portait alors à l’époque le nom de « samain » et marquait la toute fin des moissons et des vendanges, débutées lors de la fête des récoltes « lugnasad », le 1er août.

Calendrier de Coligny. On peut y voir les 
orifices servant à pointer, grâce à un clou en bronze,
le jour qu’il est. Source : wikipédia.

Avec cette fête vient donc la fin de la saison claire et le début de la saison sombre. On en retrouve de nombreuses attestations dans la littérature irlandaise et celtique médiévale, mais aussi dans les sources archéologiques d’époque romaine en Gaule. La plus célèbre de ces sources est le calendrier de Coligny, splendide inscription sur table de bronze, découverte par fragments au XIXe siècle dans le village de Coligny dans l’Ain et conservée aujourd’hui à Lyon. Il s’agit d’un calendrier monumental ; il était accroché au mur d’un édifice vraisemblablement public et la graphie des lettres ainsi que son contexte de découverte permettent de le dater du IIe siècle de notre ère. Il est rédigé en alphabet latin, mais la langue de sa rédaction est la langue… gauloise ! Ce qui en fait un des documents les plus longs dans cette langue d’ordinaire absente de l’écriture publique et officielle. L’inscription comporte un cycle mixte lunaire et solaire de douze mois pour cinq ans (une durée que l’on peut assimiler au « lustrum », le « lustre », des Romains, période de cinq ans entre deux recensements du peuple par des magistrats de la cité, les censeurs).

Quand commence l’année ?

Si l’on se fie à ce calendrier, chez les Celtes, ou du moins chez ceux pour qui le souvenir de l’année celtique possédait encore un sens à l’époque romaine, le mois de novembre est le tout premier de l’année et il porte le nom de samanios. Il débute par une fête appelée « trinox samoni », soit en français « les trois nuits de samanios / samain ». Les chercheurs, notamment au sein des études comparatistes indo-européennes (champ d’étude fondé entre autre par Georges Dumézil), identifient samain comme une fête célébrant le pouvoir de la caste druidique. Elle était probablement présidée par les souverains sacrés celtiques, les rois. À l’époque de rédaction du calendrier de Coligny, plus de rois sacrés, plus de druides, mais probablement des banquets publics, propres à la communauté civique gallo-romaine locale, la cité ou le pagus, pour fêter l’abondance des récoltes désormais engrangées pour tenir l’hiver. Il s’agit donc entre autres d’un exemple de survivance et de superposition des traditions religieuses celtiques en contexte romain, ou plutôt romanisé, bien après l’époque de la conquête, soulignant la cohabitation de plusieurs manières de marquer et de gérer le temps dans la cité.

De fait, à Rome, le mois d’octobre est tout autre. Le calendrier romain, qui aurait été créé par Romulus selon la tradition littéraire avant d’être modifié par Jules César, propose une autre vision du temps. A Rome, le début de l’année est marqué par le mois de mars : c’est le mois de la guerre, à partir duquel le climat s’adoucit et permet de relancer les campagnes militaires sous l’égide des magistrats suprêmes de la cité, les consuls. C’est pour cette raison que le mois de septembre, le neuvième aujourd’hui, est le septième chez les romains. Idem pour octobre, novembre, et décembre : l’étymologie de ces noms de mois transmet bien l’idée de huitième, neuvième et dixième mois de l’année.

Oktober-fêtes

En octobre donc, à Rome, on assiste à un nombre considérable de fêtes dont le but est de clôturer la période de la guerre et d’annoncer la venue de l’hiver : le froid est de retour, les armées établissent leurs hivernages ou reviennent tout simplement à Rome en attendant la nomination de nouveaux consuls, la désignation de nouveaux théâtres de campagne et le recrutement des armées. Ces fêtes nous sont bien mieux connues que celles du monde celtique, grâce à la multiplicité des calendriers romains découverts par les archéologues ou évoqués par les différents auteurs latins s’intéressant à la religion et aux travaux des champs.

Fac-similé des Fastes d’Antium, ou Fasti Antiates Maiores calendrier romain républicain daté des années 60 av. J.-C. avant la réforme julienne du calendrier. On y voir la succession des mois, les kalendes, nones, ides, les fêtes principales, et le statut de la journée : faste ou néfaste, ouverte ou non aux activités religieuses et politiques, il rythmait le quotidien des habitants. Source : wikipédia

Au tout début du mois d’octobre, le « rex sacrorum » ou « roi des choses sacrées », héritier du pouvoir religieux du roi de Rome (qui n’existe plus depuis l’avènement de la république en 509 av. J.-C.), accompagné d’un pontife (un prêtre majeur), offre en sacrifice à Janus, un des dieux de la guerre, un bélier, devant son temple du Capitole. Dans le même temps, l’épouse du rex sacrorum sacrifie une truie à Junon sur le Forum Romain, devant la Regia, maison du rex sacrorum.

Vient ensuite la fête de purification individuelle des soldats : à l’époque archaïque et au début de la république, on procédait à la cérémonie du « tigillum sororium » : de retour des campagnes, chaque citoyen qui avait été mobilisé à la guerre dans l’une des légions consulaires devait passer sous une très vieille poutre (le « tigillum ») enjambant une rue menant au forum pour se purifier de la souillure accumulée lors de la guerre. Cette poutre, sacrée pour avoir été celle sous laquelle Horace avait dû passer pour se laver du meurtre de sa propre sœur, avait été maintenue en état, aux frais de la cité, et semble avoir toujours existé à l’époque augustéenne, selon Tite-Live.

Le 5 octobre se tenait la cérémonie de l’ouverture du « Mundus » : ce trou circulaire, qui aurait été creusé par Romulus en personne, au centre géographique et symbolique de la ville de Rome, sorte de nombril du monde, constituait pour les Romains une entrée vers les mondes infernaux, les divinités de l’en-dessous, les dieux dits « chthoniens » qui avaient ainsi accès au monde des vivants pour quelques temps. On y offrait aussi les premiers fruits d’hiver récoltés.

Le 11 octobre était une journée dédiée au vin lors de la fête des « meditrinalia » : les vendanges tardives étaient terminées et on mélangeait ainsi le moût de la nouvelle vendange avec le vin cuit issu des récoltes passées pour se soigner des maladies. Si les dates ont légèrement changé, l’automne est toujours la saison de dégustation du vin nouveau, le Beaujolais notamment, dans nos contrées.

Le 13 octobre, la ville de Rome se parait d’atours singuliers : les fontaines étaient célébrées lors de la fête des fontinalia, en l’honneur du dieu des fontaines, Fons. On décorait de fleurs et de couronnes végétales tous les points d’eau et les margelles des puits.

Arrive ensuite le 15 octobre, date particulièrement importante pour les rituels liés à l’armée et à la guerre dans la Rome archaïque et républicaine : il s’agissait de la fête de l’Equus October, le « Cheval d’Octobre ». Jusqu’au Ier s. av. J.-C. (la fête tombe largement en désuétude à l’époque impériale), une course de biges (des chars tirés par deux chevaux) avait lieu sur le Champ de Mars. Un des chevaux de l’attelage vainqueur était abattu rituellement, d’un coup de javelot. Sa tête était alors découpée et était l’objet d’une compétition entre les différents quartiers de la ville de Rome. Le quartier vainqueur obtenait le droit de suspendre le trophée pour le laisser pourrir sur un des bâtiments sacrés de sa région de la ville. Le concours consistait en une course à pied : un coureur devait prendre la queue du cheval abattu, la couper, et l’apporter encore sanglante sur le Forum. On versait le sang dans les flammes sacrées du temple de Vesta, pour le mélanger aux cendres des veaux sacrifiés à l’occasion des Fordicidia, fête qui avait lieu le 15 avril. Il fallait parcourir le trajet en moins de temps possible, car la queue devait encore saigner à l’arrivée.

Après cette sanglante cérémonie, quatre jours plus tard, le 19 octobre, se tenait la fête de l’armilustrium, littéralement la « purification des armes ». Elle comportait plusieurs volets : d’abord, les Saliens, un collège de prêtres, portaient les boucliers sacrés, les ancilia, qu’on pensait avoir été offerts par Mars, dans une longue procession en chantant le carmen saliare, le chant des saliens. Le soir, un vaste banquet public était donné. Enfin, les boucliers étaient déposés sur le Palatin, jusqu’au mois de mars et… Le retour de la saison de la guerre ! Pendant ce temps, tous les citoyens mobilisés à la guerre au cours de l’année apportaient leurs armes sur le Circus Maximus afin qu’elles y soient purifiées. On sonnait alors des trompettes militaires, les tubi, qui elles aussi étaient purifiées lors du tubilustrium, le 23 octobre.

La fin de l’été et l’avènement de l’automne marquent donc fortement les sociétés anciennes ; l’architecture des rites et des fêtes de ce moment clé de l’année traduit d’ailleurs, d’une certaine façon, le cheminement civique et la représentation collective que les communautés humaines se donnent à ces occasions : dans la Rome républicaine et archaïque, on insiste fortement sur la fin de la saison de la guerre, pratique civique par excellence et la plupart des fêtes sont rendues en l’honneur de ces dieux patrons du combat et de la violence : Janus ou Mars. Dans le calendrier de Coligny, on observe bien le chemin parcouru par les sociétés celtiques, désormais largement « romanisées » malgré le maintien manifeste de pratiques linguistiques et religieuses préromaines : les dimensions politique et militaire semblent absentes, remplacées par des enjeux locaux, ceux des récoltes. A l’époque, l’armée n’est plus une affaire de communautés locales défendant leur territoire : elle est professionnelle, permanente, cantonnée sur la frontière aux limites de l’Empire, sous le commandement d’un empereur et non au service du sénat. On retrouve néanmoins des points communs entre les deux traditions, notamment en ce qui concerne la présence du monde infernal dans le monde des vivants, au moment de transition entre les beaux jours et les longues nuits, qui perdurent toujours de nos jours, d’une certaine façon, avec la Toussaint et Halloween, toutes deux des fêtes dédiées aux morts.

Clément Salviani

Clément Salviani est doctorant en archéologie à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, agrégé d’histoire et ATER en Histoire romaine à l’Université Bordeaux Montaigne. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, il s’intéresse tout particulièrement aux pratiques militaires et aux armes des peuples de l’Italie préromaine, terrain qu’il fréquente au sein de diverses missions archéologiques françaises et italiennes depuis 2011. Il a été chargé d’études et de recherche à l’Institut National d’Histoire de l’Art, au sein de l’équipe dédiée à l’histoire de l’art antique et à l’archéologie.

Pour en savoir plus :

Sur le Calendrier de Coligny :

  • P.-M. Duval & G. Pinault, Recueil des inscriptions gauloises, III, in supplément Gallia n° XLV, CNRS, Paris, 1985.
  • P.-Y. Lambert, Un calendrier gaulois, in La langue gauloise, pp. 108-115, Errance, 1997.
  • J. Monard, Histoire du calendrier gaulois: le calendrier de Coligny, Burillier, Vannes, 1999.

Sur le calendrier romain :

  • P. Brind’Amour, Le calendrier romain : Recherches chronologiques, Ottawa, 1983.
  • Ch. Guittard, « Le calendrier romain des origines au milieu du Ve s. av. J.-C. », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1973, p. 203-219.
  • Michels, The calendar of Roman Republic, Princeton, 1967.
  • J.-C. Richard, « Le calendrier romain préjulien », Revue des études latines, 46, 1968, p. 54-61.
  • H. J. Rose, « The pre-Caesarian Calendar », Classical Journal, 40, 1944-45, p. 65-76.
  • H.H. Scullard, Festivals and Ceremonies of the Roman Republic (Cornell University Press, 1981), p. 195.
  • W. Smith, D.C.L., LL.D.: A Dictionary of Greek and Roman Antiquities, John Murray, Londres, 1875.

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