« Les femmes s’épilent pour plaire aux hommes »

Madmoizelle (oui, les médiévistes AUSSI lisent Madmoizelle, je ne vois pas pourquoi c’est drôle) fait une super couverture ce mois-ci autour de la question de la pilosité féminine (#MaiPoils). Au fait, vous saviez qu’on s’épilait déjà au Moyen Âge ?

Une mode venue de l’Orient ?

On a plein d’ami.e.s antiquisant.e.s, alors on est obligés de rappeler que l’épilation féminine est bien attestée durant l’Antiquité gréco-romaine. Ovide, dans son Art d’Aimer, écrit ainsi aux femmes « qu’un bouc farouche ne devait pas loger sous vos aisselles et que vos jambes ne devaient pas être hérissées de poils rudes ». L’Occident médiéval hérite de cette vision.

Au Moyen Âge, plusieurs traités de médecine parlent de ce genre de pratiques. Henri de Mondeville, célèbre médecin du début du XIVe siècle, mentionne ainsi plusieurs méthodes d’épilation : avec une pince, avec des petits ciseaux, ou avec des crèmes dépilatoires. Il en cite plusieurs recettes : l’une est faite à partir de sang de chauve-souris, l’autre à partir de chaux vive et d’arsenic. On sait, ça ne donne pas envie…

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A voir sur Youtube : les conseils beauté d’Agnès Sorel… !

Cette deuxième recette est explicitement attribuée par Mondeville au médecin Avicenne – de son vrai nom Ibn Sina, un médecin persan dont l’énorme traité de médecine est l’ouvrage le plus utilisé pendant toute la période médiévale. L’épilation vient donc de l’Orient, du monde arabe.

Ce n’est pas qu’une vision de Mondeville, et d’autres textes confirment cette idée. Usāma ibn Munqidh est un émir syrien qui vit en Orient au XIIe siècle et côtoie de près les Francs du royaume de Jérusalem. Dans sa belle autobiographie, il rapporte une anecdote hilarante. Un chevalier franc rentre dans un hammam, et voit que l’employé du hammam, un musulman, est intégralement épilé. Il s’exclame alors « Salim ! comme c’est doux ! fais-moi pareil ! ». Ravi du résultat final, il se précipite chez lui, ramène son épouse et demande au barbier de lui faire la même chose… Pour Usāma ibn Munqidh, il s’agit surtout de se moquer des Francs, représentés comme des gens sales, peu familiers des usages du hammam et pas assez pudiques – le chevalier n’hésite pas à exhiber son épouse devant l’employé du hammam. Apocryphe ou véridique, l’anecdote souligne quoi qu’il en soit un certain intérêt des Occidentaux pour les pratiques dépilatoires de l’Orient.

Les poils, c’est viril

En Occident, ces pratiques ne sont pas forcément très bien vues, pour deux raisons.

D’abord, un certain nombre de théologies condamnent toutes les pratiques qui modifient le corps : si Dieu nous a voulu poilus, s’enlever les poils revient à aller contre la volonté divine. On critique ainsi les tatouages, le maquillage, l’épilation.

Plus généralement, le poil est un signe de force : les rois mérovingiens vont jusqu’à mettre des cheveux dans leurs sceaux ! Le poil est un signe de virilité, de fertilité. Il est le symbole de l’âge adulte : sous les Mérovingiens, encore, un garçon devient un homme lors de son premier rasage. Au XVIe siècle, les (Amér)indiens sont du coup décrits comme des enfants, puisqu’ils sont imberbes – ce qui justifie leur exploitation… Avoir des poils, c’est donc être un homme – ce qui revient à dire qu’être une femme, c’est ne pas avoir de poils… Et c’est comme ça que se construisent, lentement, les pratiques contemporaines : la majorité des femmes s’épilent, la majorité des hommes ne le font pas.

Évidemment, on caricature : au fil des siècles qui composent le Moyen Âge, les modes changent. Aux XI-XIIe siècle, la mode est d’être rasé de près pour les seigneurs, alors que la barbe revient lentement à la mode à partir du XIVe siècle. De même, on peut penser que les pratiques d’épilation varient beaucoup, en fonction des époques, mais aussi des classes sociales, sans que les sources ne le reflètent forcément. Aujourd’hui, on sait que ça a un peu évolué également, puisque de nombreux hommes s’épilent alors que de nombreuses femmes ne le font pas.

Plaire aux hommes

Reste la question : pourquoi les femmes s’épilent-elles ? Henri de Mondeville est catégorique : « afin d’être agréables aux hommes, les femmes s’enlèvent elles-mêmes les poils de leurs parties intimes ». Ça laisse songeur, et on pourrait longuement commenter cette phrase.

L’épilation est entièrement arrachée à la femme : elle ne le fait que pour l’homme. Et elle ne le fait que pour « être agréable », un devoir qu’on lui impose – elle doit être douce, physiquement comme moralement. Bref, ce que pointe avec lucidité Mondeville, c’est que dénoncent aujourd’hui des auteurs comme Mona Chollet : l’épilation est l’un des grands symboles de la domination masculine sur le corps des femmes. Un corps érotisé – « parties intimes » –, soumis au désir de l’homme – « être agréable ». Une domination qui est d’autant plus efficace qu’elle est indirecte : les femmes « s’enlèvent elles-mêmes » les poils, sans que personne ne les y force sinon la pression sociale.

On comprend mieux pourquoi de nombreuses femmes font aujourd’hui du refus de s’épiler un puissant symbole d’émancipation. Cela revient à la fois à se détacher des normes sociales et à refuser de faire de son corps un objet construit par un désir masculin. Et, au passage, de faire des économies, et de s’épargner des grimaces de douleur – l’épilation, ça fait mal, alors imaginez avec une crème à la chaux vive et à l’arsenic…

Bon, cela dit, on est quand même curieux pour le sang de chauve-souris. Un.e volontaire pour essayer et nous faire un petit rapport… ?

Cet article a été adapté en vidéo par Laurent Turcot en avril 2019 dans la chaîne YouTube « L’histoire nous le dira ».

Pour en savoir plus :

    • Mona Chollet, Beauté fatale : les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Paris, La Découverte, 2012.
    • Nicolas Drocourt, « Au nez et à la barbe de l’ambassadeur. Cheveux, poils et pilosité dans les contacts diplomatiques entre Byzance et l’Occident (VIe-XIIe) », in Erika Juhász (éd.), Byzanz und das Abendland IV. Studia Byzantino-Occidentalia, Budapest, Eötvös-József-Collegium, 2016, p. 107‑134.

21 réflexions sur “« Les femmes s’épilent pour plaire aux hommes »

  1. Ce texte m’a fait beaucoup rire ! Très bien documenté et criant de vérité ! Mais alors pourquoi rire ? Parcque c’est justement aujourd’hui que je me suis auto proclamée en « journée fille » puisque j’ai prévu de m’épiler et … je tombe sur ton texte ! Quelle belle ironie 🙂

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      1. C’est dommage que cette correction ne soit pas arrivée jusqu’au livre imprimé où je viens de buter sur ce savant qui n’a probablement jamais mis les pieds en Andalousie (même si, comme vous nous le rappelez fort judicieusement) les gens voyageaient bien plus qu’on ne se l’imagine.

        Et puisque je vous ai sous le clavier, si je puis dire, c’est dommage que les livres ne soient pas dotés d’un index thématique pour retrouver tel ou tel personnage, telle ou telle localité…

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  2. Donc quand ma chérie s’épile pour me plaire c’est un symbole de la domination masculine, mais quand je me rase pour lui plaire c’est tout ce qu’il y a de plus normal. Bien ou bien le discours à sens unique ? Surtout parlant du Moyen-Age occidental, époque dont nous aurions beaucoup à apprendre en matière de respect des femmes et d’égalité des sexes …

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    1. Remettons les pendules à l’heure, la Domination masculine est une invention de sociologue. Qu’il y ait des rapports de force, dans ce monde où se balades des sous-marins nucléaires, ça n’étonnent que les naifs. Le problème ce ne sont pas les multiples dominations mais encore et toujours l’exploitation capitaliste. Bref.

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  3. Moi aussi ce texte m’a fait beaucoup rire !
    Si j’ai bien compris Florian. Les femmes s’épilent car entièrement sous la domination de l’homme. Les hommes s’épilent car égocentrique avec obligatoirement une tendance féminisante. Autrement il ne s’épilerait pas. Et tout ceci nous venant du plus profond des âges.
    Cher doctorant, il me semble évident que nous ne vivons pas dans la même société, ni au même siècle. C’est vrai que s’imaginer la femme sous dominance masculine doit-être un fantasme délicieux pour certain.
    Je vous propose d’imaginer un monde plus joyeux. Un monde où les femmes comme les hommes ont accès à la connaissance par l’éducation, les médias et internet (découvert au XXe siècle). Un monde où malgré les excès de quelques-uns(es), la majorité des hommes et des femmes se côtoient, se respectent, s’aiment. Un monde où ceux qui choisissent de s’épiler en toute connaissance de cause, qu’il soit femme ou homme ne sont pas catalogués comme « abruti (e) ». Un monde où l’épilation est reconnue comme un choix d’hygiène, de plaisir, de ressourcement personnel.

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    1. Décidément ce texte prend les gens à rebrousse-poil… !

      Je ne crois pas avoir écrit (et je n’ai en tout cas pas pensé) que celles et ceux qui s’épilaient était des « abruti.e.s »… Prière de ne pas confondre un texte que je cite et mes propres idées… !

      J’ai simplement voulu rappeler que l’épilation, comme plusieurs autres diktats de beauté (la minceur en tête, mais pas seulement), pèse davantage sur les corps féminins que sur les corps masculins (cf Beauté fatale de Mona Chollet). Dès lors l’épilation peut devenir une source de « charge mentale », pour employer une expression qui ne circulait pas encore au moment où j’ai rédigé cet article. Regardez l’expérience conduite par Basow et Braman (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1471-6402.1998.tb00182.x), qui prouve bien que les femmes n’ont pas entièrement le choix de s’épiler ou non, du moins si elles veulent correspondre à une image de la femme largement construite par et pour des hommes. Et j’ai voulu montrer que cette image, qui associe la femme à l’absence de poils, vient en partie du Moyen Âge. Rien de plus dans cet article…

      Ce qui ne veut pas dire que s’épiler soit forcément ressenti comme une contrainte, une aliénation ou une soumission à un ordre androcentré : déjà parce que cette soumission est largement intériorisée, donc inconsciente, ensuite parce qu’être une femme (a fortiori une femme féministe) veut dire qu’on a le droit de faire ce qu’on veut, en l’occurrence, s’épiler ou pas (voir cette excellente vidéo https://www.youtube.com/watch?v=AhoicEW6QTo).

      Quant au fait « d’imaginer la femme sous la dominance masculine », je ne peux répondre que par un profond soupir tant je préférerais que ce soit, de ma part, un « fantasme » – au lieu d’être, malheureusement, une triste réalité, comme le soulignent assez éloquemment actualités, études sociologiques ou données économiques… et comme pourra assurément vous le dire n’importe quelle femme de votre entourage, si tant est, évidemment, que vous acceptiez de l’entendre, et, pour cela, de lui parler avec moins de condescendance que celle dont vous faites preuve à mon égard.

      Puisqu’il semble tristement évident qu’en effet nous ne vivons pas au même siècle, je ne peux que vous encourager à nous rejoindre dans le XXIe : vous verrez, c’est une belle époque, quand on la voit sans oeillères.

      Féminismement votre,

      Florian, alias le « cher doctorant »

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      1. Mettons les choses au point ! (Personnellement il n’y aura pas de prochaine fois. Je ne suis pas un adepte des chicaneries de cour d’école)
        – Vous vous plaignez des retours qui vont à l’encontre de votre propos. « Décidément ce texte prend les gens à rebrousse-poil… ! ». Votre sarcasme manque d’originalité. Il ne faut pas publier d’article si vous ne supportez pas la contradiction.
        – Cher doctorant, cher monsieur, qui est condescendant ? Moi qui reprend une information « doctorant » que vous affichez ou vous qui tentez par des effets de langage de me rabaisser « comme pourra assurément vous le dire n’importe quelle femme de votre entourage, si tant est, évidemment, que vous acceptiez de l’entendre » ?
        – Votre propos originel sur le thème  » les femmes n’ont pas entièrement le choix de s’épiler ou non, du moins si elles veulent correspondre à une image de la femme largement construite par et pour des hommes. Et j’ai voulu montrer que cette image, qui associe la femme à l’absence de poils, vient en partie du Moyen Âge. » manque complétement à mon sens d’objectivité. C’est là le problème. Ne vous en déplaise les femmes du XXI siècle comme les hommes d’ailleurs n’ont rien à voir dans leur globalité avec la vision manichéiste que vous semblez défendre.
        Voulant terminer sur une note humoristique, s’interdisant d’être sarcastique; Je voudrais vous signaler cher doctorant qu’au cas où il existe un prix de conception de la meilleur « usine à gaz », sans hésitation postuler. Je serai un de vos fans.
        Cordialement : un citoyen du XXI siècle

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  4. Je ne réponds que fort brièvement, car je sais bien qu’il ne faut pas nourrir les trolls… Si je n’ai pas la prétention d’être original (tout au plus drôle, la blague sur le rebrousse poils n’étant rien d’autre que cela, une blague…), je supporte et accueille fort bien la contradiction, tant qu’elle est fondée : je vous ai répondu avec des références scientifiques, un article de recherche et une vidéo, vous ne citez à l’appui de votre vision… que vous-même. Et de fait, vous seriez bien en peine de faire autrement ! Je me permets de citer le génial Harlan Ellison (un auteur de ce siècle !) : « vous n’avez pas le droit d’avoir votre opinion ; vous avez le droit d’avoir votre opinion renseignée ».

    Je ne tentais pas non plus de vous rabaisser, croyez-le bien : je signalais simplement que pour continuer à croire que nous vivons dans une société égalitaire, il faut forcément ne pas échanger avec des femmes. Si vous acceptiez de vous ouvrir un tant soit peu à leur vécu, vous ne pourriez pas tenir de tels propos.

    Un article tout juste paru pour finir (clore) ce débat :
    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/09/06/les-violences-faites-aux-femmes-pesent-sur-les-chiffres-de-la-delinquance_5351136_1653578.html
    + 23 % de crimes sexuels en 7 mois, il me semble tout à fait évident qu’en effet la place de la femme est pleinement satisfaisante aujourd’hui, et qu’il est très manichéen de dire le contraire ! (*ironie*)

    Quant à l’usine à gaz, je ne suis pas sûr de voir vraiment ce que vous voulez dire : mais bon, je préfère être une usine (noble lieu), même à gaz, que vivre dans le brouillard.

    Toujours féminismement vôtre,

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    1. C’est dommage, Florian que vous répondiez à côté. A vous lire les femmes vivent l’enfer, et plutôt un enfer glauque. Quant aux hommes, évidement ce sont des êtres ignobles… Désolé de ne pas vous suivre sur ce chemin qui frise la parano. Manifestement nous ne fréquentons pas le même monde. Mes amies ne se sentent pas plus victimes que mes amis ne se sentent bourreaux. Désolé de vous décevoir mais je ne fréquente pas des gens en souffrance mais en révolte, non contre un genre mais contre le monde capitaliste (je rappelle ce mot parce qu’on dirait que parler de lutte de classes et non de sexe est devenu incompréhensible.) La violence faite aux femmes est d’abord celle du monde de l’usine, du salariat. Ah zut j’ai dû me gourer quelque part car j’ai entendu dire – mais ce doit être une vulgaire rumeur – que le travail libère les femmes… Première nouvelle, mais qui ne devrait plus surprendre venant du monde capitaliste si élégamment orwellien…

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  5. Toujours aussi intéressant ! Je suis arrivé ici avec le mot « chauve-souris ». En ces temps coronariens où on accuse ces pauvres bestioles de mille maux, je me demandait ce qu’en pensaient les médiévaux… Je suis sûr que vous avez là un sujet en or massif !!! Encore un grand merci à vous. JD

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  6. Merci beaucoup Florian pour cet article et l’ensemble du travail fourni sur ce blog !

    (et en tant que femme ça me touche d’autant plus que « Florian le Doctorant soit a priori un homme et s’approprie ces débats n’en déplaise à « en passant »)

    Alexia

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