Le Brexit raté du Prince Jean

Si je vous parle du roi Jean d’Angleterre, a priori, ça ne vous dit rien. Si je vous dis que c’est le cinquième et dernier fils d’Henri II Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine, le père d’Henri III, l’époux d’Isabelle d’Angoulême, ce n’est pas forcément plus clair. Alors que si je vous dis que c’est le méchant lion dans le Robin des Bois de Disney, celui qui aime l’or, qui suce son pouce et qui dort avec un serpent au pied de son lit (chacun son truc), je suis sûr que vous le remettez !

Entre deux tentatives pour faire pendre Robin des Bois, le Prince Jean est surtout le petit frère de Richard Cœur de Lion. Pendant que Richard part en croisade, Jean tente de s’emparer du royaume d’Angleterre, qui, à l’époque, n’a pas du tout le même aspect que maintenant : Henri II a en effet forgé, notamment par son mariage avec Aliénor d’Aquitaine, un grand « empire plantagenêt » qui comprend l’Angleterre, le Pays de Galles, la Normandie, le Maine et l’Aquitaine. Si vous ajoutez qu’il lorgne doucement sur le comté de Toulouse, qu’il conquiert peu à peu l’Ecosse et l’Irlande, vous imaginez assez bien la taille du royaume.

Mais Jean est le dernier enfant d’Henri II, et en tant que tel il n’a pas d’héritage : d’où son surnom de « Jean sans Terre ». D’où aussi son ambition, et sa volonté de profiter de l’absence du grand frère pour monter sur le trône. Pourtant, Richard revient, et récupère son trône, mais, ce qu’on ne voit pas dans Robin des Bois, le brave Cœur de Lion meurt quelques mois plus tard lors d’un siège. Jean succède alors à son frère, en toute légitimité. À partir de là, tout s’enchaîne moins bien. Jean fait la guerre contre son neveu Arthur, qu’il va finalement faire assassiner, ce qui lui met toute la Bretagne à dos. Il passe son temps à se disputer avec ses principaux barons, qui en viennent tous à le détester. Il augmente les impôts, d’où des révoltes paysannes. Il se dispute aussi avec le pape, et finit par être excommunié. Surtout, il divorce pour épouser Isabelle d’Angoulême, qui était fiancée à Hugues de Lusignan, lequel n’apprécie pas du tout de se faire piquer sa copine… Le comte en appelle à son suzerain, le roi de France, et c’est la guerre (encore) entre France et Angleterre. Jean adopte une stratégie défensive qui lui vaut le si classe surnom de « Jean l’épée Molle » : allant de victoires inexploitées en lourdes défaites, Jean finit par perdre tout le duché de Normandie en 1204.

Jean sans Normandie

 C’est un coup dur, car la Normandie est riche, contrôle les grands axes commerciaux, et surtout est le cœur historique de la dynastie des Plantagenêts : d’ailleurs, c’est à Rouen que se trouve le cœur du roi Richard. Les Anglais gardent l’immense Aquitaine, mais la perte de la Normandie passe mal. Jean va tout faire pour récupérer ces terres : expéditions militaires, complots, trahisons, retournements d’alliance,… Rien n’y fait : la Normandie a définitivement échappé à l’emprise anglaise. Le roi de France, Philippe Auguste s’empresse de consolider son emprise sur le duché, en remplaçant les officiers anglais par des officiers français.

De plus la perte de la Normandie a de lourdes conséquences : en effet, la plupart des grands barons anglais ont des fiefs et des châteaux des deux côtés de la Manche, en Normandie et en Angleterre. Très vite, le roi de France réalise que cette situation n’est pas tenable : en cas de guerre, à qui irait leur fidélité ? Il prend alors une décision sans précédent : il confisque leurs fiefs et il déclare qu’il ne les leur rendra que s’ils abandonnent leurs possessions dans les îles anglaises. Autrement dit, les seigneurs doivent choisir : c’est l’Angleterre ou la France. Leur identité doit donc désormais s’articuler autour d’un seul pays : il faut être anglais ou français. Le poids de cette décision bouleverse le royaume anglais, entraînant des rébellions, des guerres civiles, et une agitation seigneuriale qui conduit à l’adoption de la Magna Carta en 1215, un texte qui définit strictement les pouvoirs du roi et est considéré comme l’origine du parlementarisme anglais.

 La tentation du continent

Les souverains anglais vont passer trois siècles à regretter la mauvaise politique de Jean sans Terre. Trois siècles à tenter de reconquérir la Normandie, par le mariage, par la guerre – c’est l’un des enjeux principaux de la Guerre de Cent Ans. Trois siècles à lorgner sur le continent, à vouloir garder ou récupérer un petit bout de territoire en France, à vouloir s’impliquer dans les affaires européennes, à regretter leur isolationnisme insulaire. Car le destin de l’Angleterre, hier comme aujourd’hui, est lié, pour le meilleur et pour le pire, à ses voisins européens.

L’histoire n’a pas de leçons à donner au présent, ni aux présents. Mais l’exemple de la perte de la Normandie est riche d’enseignements. Il montre qu’une affaire politique a des conséquences concrètes sur les pratiques des gens : après 1205, impossible d’avoir des fiefs en Normandie et en Angleterre, impossible de passer d’un roi à l’autre, d’un espace à l’autre. La Manche redevient, pour plusieurs siècles, une frontière, une coupure. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne aurait également des conséquences très lourdes sur nos pratiques de mobilité, sur les liens entre nos deux pays, sur les identités d’un grand nombre de gens qui passent sans cesse d’une rive à l’autre de la Manche. Surtout, la politique désastreuse de Jean sans Terre devrait suffire à rappeler, contre les arguments de certains pro-Brexit, que tout n’est pas révocable : quand on décide de partir, c’est souvent pour de bon, et on ne peut pas toujours faire marche arrière.

Moralité : avant d’aller voter, j’espère que tous les citoyens anglais prendront le temps de regarder le Robin des Bois de Disney.

Pour aller plus loin :            

  • Martin Aurell, L’Empire des Plantagenêt, 1154-1224, Paris, Perrin, 2004.
  • Ralph V. Turner, King John: England’s Evil King ?, Stroud, History Press, 2009
  • Fanny Madeline, Les Plantagenêts et leur empire. Construire un territoire politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

11 réflexions sur “Le Brexit raté du Prince Jean

  1. Raisonnement creux et stérile, tiré par les cheveux et bourré de contradictions. A toujours tout vouloir comparer (même des situations qui n’ont rien à voir de par leur nature et leur contexte), on finit par dire des bêtises et faire de grossiers raccourcis. Passons sur le ton infantilisant, insupportable.

    Un médiéviste.

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  2. Partir d’un dessin animé c’est très bien et original.
    Dommage que vous vous soyez calqués sur la vision de Jean Sans Terres dans celui-ci.
    Le prince Jean n’était certes pas un enfant de chœur mais il récupère un royaume au bord de la ruine à cause du « Bon » roi Richard, de sa coûteuse croisade et surtout de la rançon astronomique versée pour sa libération (par le méchant Jean qui voulait prendre sa place par jalousie, le bougre).
    Tout n’est pas tout noir ou tout blanc et un peu de recul ne vous ferait pas de mal.

    Un archéologue.

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  3. @ George Hausherr : merci ! en attendant en effet d’avoir les résultats…

    @ Joinville : la critique est toujours bienvenue ; le ton agressif, un peu moins… Votre avis nous intéresse d’autant plus qu’il provient d’un collègue médiéviste : pourquoi ne pas abandonner ce pseudonyme et nous envoyer un mail pour nous dire quels seraient selon vous les points à améliorer dans ce que nous tentons ici ?

    @ Jerem : vous avez évidemment tout à fait raison, rien n’est jamais si simple, mais la contrainte d’écrire en un nombre de signes si limité ne nous permet pas de nuancer chaque phrase, comme l’impose l’écriture académique… Cela dit, pour Jean, tous les historiens s’accordent pour reconnaître qu’il a une politique absolument désastreuse, et ce à tous les niveaux : voyez les travaux de M. Aurell, R. Turner, W. Warren, S. Duffy,… qui sont beaucoup mieux informés que ce modeste billet, et guère plus nuancés… !

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  4. Un article sympathique à lire, en écho à l’actualité. Il fut en effet un temps où les Anglais s’impliquaient dans les affaires continentales au point de tenter de ravir la couronne de France pendant la guerre de Cent Ans.

    Je précise que, contrairement à ce que vous écrivez, l’Anjou et non la Normandie est le centre historique de l’empire Plantagenêt. Certes, Richard a son cœur envoyé à Rouen mais son corps est enseveli à Fontevraud en Anjou, comme ses parents.

    Vous oubliez d’ailleurs l’Anjou dans votre article. En 1204-1205, Jean sans Terre perd la Normandie, mais aussi l’Anjou, le Maine. Enfin, la Bretagne, sous influence Plantagenêt, entre dans l’orbite capétienne après la mort d’Arthur.

    Votre conclusion est contestable. Rien n’est irrévocable en politique. En 1417-1419, les Anglais remettent la main sur la Normandie.

    Votre bibliographie est actuelle : elle inclut la thèse récente de Fanny Madeline.

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